La fameuse et tant attendue lettre de refus
Deux mois sont passés ...
... depuis que vos tapuscrits ont disparu dans les méandres de la Poste. Pas un coup de fil ni même une lettre, ce petit quelque chose, ce petit espoir qui vous faisait serrer la fesse à chaque fois que vous ouvriez votre boîte aux lettres n’est même plus là. Ne nions pas l’évidence, votre bouquin n’intéresse personne, pire encore il est à ce point médiocre que personne n’a daigné vous envoyer une lettre de non merci.
Et puis voilà qu’un soir après le boulot (eh oui, forcément, qui dit écrivain dit, bien trop souvent, job à la con pour avoir de quoi manger), en ouvrant machinalement la boîte aux lettres, vous tombez sur une enveloppe belle et blanche tachée du blason d’un illustre éditeur. Tout jouasse que vous êtes (eh oui, ce mot-là existe), vous l’ouvrez à la hâte dans l’ascenseur.
Madame, Monsieur,
Nous vous remercions de nous avoir fait parvenir votre roman intitulé « Les 19 étapes de la dépression ». Malheureusement, nous ne pouvons retenir votre texte pour publication.
Avec nos regrets et en vous souhaitant de trouver rapidement un éditeur enthousiaste, je vous prie de croire en l’assurance de nos sentiments distingués.
Le service des manuscrits
L’ascenseur est arrivé à votre étage, mais vous ne pouvez vous empêcher de lire une seconde fois votre toute première lettre de refus (faites un vœu...) ! Hum, voyons voir : le ton est administratif mais pas dénué d’une certaine dose d’optimisme. On pourrait même voir un brin d’encouragement dans cette dernière phrase de salutation : « [...]En vous souhaitant de trouver rapidement un éditeur enthousiaste [...] »
Bref, rien d’outrageant dans ces quelques lignes, mis à part peut être que l’essentiel n’y est pas. À quoi bon se donner la peine d’envoyer une lettre de refus sans pour autant en mentionner LES RAISONS...
Alors que vous fixez, non sans une certaine fierté, cette fine tranche d’arbre collée sur la porte de votre frigo, vos yeux s’accrochent non plus à la formulation mais aux petits détails qui font de cette lettre VOTRE lettre de refus :
- le titre de votre tapuscrit est écrit à la main mais la signature ne l’est pas
- le titre de civilité qui n’est pas le vôtre est tout simplement barré
BOUM ! c’est la révélation: il ne fait aucun doute que ce que vous avez entre les mains est une authentique lettre type. Le genre de feuillet qu’une maison d’édition doit imprimer par centaines en début d’année.
D A M N vous saviez à quoi vous attendre, mais vous espériez secrètement être traité avec un peu plus d’égard, de considération. Merde quoi ! Vous avez passé cinq mois à pondre ce qu’ils ont rejeté en quatre lignes.
S
C
A
N
D
A
L
E
Mais, pourquoi tant d'indifférence ?
Les lettres de refus sont ce qu’elles sont car le marché du livre est déséquilibré. Voyez un peu: Gallimard reçoit un manuscrit toutes les dix minutes (encore une statistique en carton ? Peut-être... peut être pas). Pour traiter ces tonnes et tonnes de papiers en moins de deux mois, la recette est simple : il faut trancher au plus vite du « GO NO GO » d’un tapuscrit.
D’une part, la personne qui a « traité » votre œuvre n’a pas RÉELLEMENT pris connaissance de ce que vous avez écrit (et, par conséquent n’a pas les moyens de vous faire un retour constructif).
D’ autre part, envoyer une lettre de refus argumentée pourrait encourager l’écrivain à échanger avec le lecteur de la maison d’édition. Dans un monde idyllique, ce genre d’échange serait monnaie courante et permettrait de tirer vers le haut le niveau de qualité des manuscrits MAIS en France au XXIe siècle les lecteurs n’ont aucunement le temps (et peut-être même l’envie) de chaperonner des écrivains en herbe.
C’est pour ces raisons qu’il ne faut pas prendre trop à cœur les lettres de refus. Quinze lettres de refus en deux semaines (oui, ça fait mal) ne signifient pas forcément que vous devez abandonner votre passion et reprendre l’entreprise familiale de saucisses aux patates. La preuve: Stephen King a été refusé plus de trente fois avant d’être retenu...
À vue d’œil et sans aucune source à l’appui (si ce n’est ma propre expérience), vous avez 70 % de chances d’avoir un retour lorsque vous envoyez un tapuscrit. Et bien entendu: ils seront presque tous négatifs.
Et pourquoi donc ? Tout bonnement parce que si l’éditeur est prêt à investir dans votre bouquin, il ne va pas vous envoyer une missive : il va vous passer un coup de fil (eh oui, on est tout de même au XXIe siècle...).
La question qui doit maintenant vous tarauder l’esprit est : « Pourquoi diable se donner la peine d’ouvrir ces foutues enveloppes si la réponse qu’elles hébergent est fatalement négative ? »
Tout simplement parce que tous les refus ne sont pas de VRAIS refus et que certains d’entre eux peuvent même être source de motivation (si, si).
Voici donc un petit bestiaire des cas d’école de lettres de refus (si jamais vous avez eu droit vous aussi à des retours exotiques, je me ferai un plaisir de les ajouter à ma petite liste ) :
Ayant atteint notre quota de publications ce trimestre, le service des manuscrits se voit contraint de refuser tout nouveau manuscrit jusqu’à mi-septembre.
→ Bonne nouvelle ! Ils n’ont même pas ouvert votre enveloppe : vous aurez tout le loisir de renvoyer votre tapuscrit en septembre (et pour le coup, débourser à nouveau 10$ en frais d’impression et d’affranchissement).
[...] Votre texte n’est pas dénué de qualité, mais au vu du nombre astronomique de fautes d’orthographe qu’il comporte, je vous recommande CHAUDEMENT de prendre contact avec un correcteur professionnel [...]
→ Aoutch ! Pour le coup, on arrête tout. Un manuscrit mal présenté est le moyen le plus sûr de griller ses chances auprès des maisons d’édition. Gardez-vous bien d’envoyer d’autres manuscrits : la priorité absolue est de retravailler votre écrit. Avec un peu d’aubaine (et en changeant le titre du livre), vous pourrez retenter votre chance.
Quelques pages cornées et trois coups de crayon à papier sur la marge droite de la 25e page du manuscrit qui vous a été retourné…
→ C’est la preuve qu’un professionnel du livre s’est intéressé à votre œuvre au-delà du premier chapitre… ce n’est pas rien !
[...] Si vous retravaillez votre texte dans le sens indiqué, nous pouvons éventuellement revenir sur notre décision [...]
→ Votre tapuscrit a sans nul doute franchi quelques barrières, mais a été mis de côté par le directeur de collection ou lors de la réunion du comité de lecture. Rien ne vous assure qu’une nouvelle version saura convaincre les réfractaires à votre publication, mais comme dirait l’autre : qui ne tente rien n’a rien.
PS : Ayez en tête qu’il est possible que l’envoi de votre deuxième version soit suivi d’une lettre de refus type (true story).
[...] Vous êtes à la littérature ce qu’un cul-de-jatte est à la course à pied.[...] ( Yves Berger, directeur littéraire chez les éditions Grasset)
→ La métaphore peut heurter votre sensibilité, mais l’important ici est que vous avez eu droit à un retour P E R S O N N A L I S É. D’une manière ou d’une autre, vous leur avez tapé dans l’œil !
[...] Votre ouvrage ne correspond pas à notre ligne éditoriale et nous sommes donc au regret de vous annoncer que [...]
→ Le grand C L A S S I Q U E. L’excuse (qui n’en est pas forcément une) de la ligne éditoriale est un fourre-tout qui peut sous-entendre un tas de choses :
- votre écriture manque de maturité;
- le lecteur qui a décacheté votre enveloppe n’a guère apprécié que vous commenciez votre roman par « Il était une fois » ;
- vous avez fait un grand hors sujet en envoyant à un éditeur de poésie baroque votre guide de voyage sur la Creuse
- …
Bref, pas la peine de se faire des nœuds au cerveau ici : vous ne pouvez tout bonnement rien en tirer. Être en accord avec la ligne éditoriale d’un éditeur est LA plus grande problématique de l’envoi de manuscrits. Pour le coup, c’est un sujet à part entière et un petit billet à ce propos ne devrait pas tarder à sortir...
[...] Nous vous conseillons de vous adresser de notre part à… [...]
→ C’est probablement LE meilleur retour que vous pouvez avoir dans votre boîte aux lettres. Rendez-vous compte : un professionnel de l’édition vous recommande auprès de l’un de ces confrères : ça sent très très très bon. RIEN n’est gagné, mais vous ne pouvez vous permettre de laisser passer cette perche. D’autant plus que, pour une fois, vous aurez le luxe d’adresser votre manuscrit à une personne physique plutôt qu’au service des manuscrits. YEAH !
Je vous l’accorde, la prospection en vue de trouver un éditeur est une tâche ingrate. Quand vous n’êtes pas à COREP, vous êtes à la Poste, votre compte en banque se vide au même rythme que votre pile de lettres de refus grandit… c’est à se demander parfois si le jeu en vaut vraiment la chandelle… Après tout, à quoi bon écrire un deuxième livre lorsqu’on a reçu un demi-kilo de retours négatifs pour le premier ?
Tout simplement parce que l’important est ailleurs, parbleu ! Se faire publier, c’est le café de fin de repas, ni plus ni point. Commencer, écrire, relire, réécrire et enfin boucler un livre voilà ce qui a du sens !
Si ce qui vous anime ce sont les $ et les paillettes, vous ne ferez pas bon compte dans l’édition. En revanche, si votre truc c’est de cracher sur du papier des idées qui vous importent : ne lâchez rien !
Comme dirait Henri-Frédéric Amiel : « Qui ne prétend à rien ne peut essuyer de refus. »
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